ACPM : D'un point de vue pratique

Reprise des activités après une blessure : la sécurité des patients d’abord

Episode Summary

Quand des médecins sont appelés à autoriser quelqu’un à reprendre ses activités après une blessure, ils doivent s’assurer d’agir selon la norme de pratique et dans l’intérêt de la patiente ou du patient; pour ce faire, plusieurs éléments sont à prendre en compte. Dans l’épisode de ce mois-ci, les Drs Madarnas et Bellemare discutent des précautions et des responsabilités que médecins et patients doivent prendre pour que la reprise des activités se fasse en toute sécurité. Les Drs Madarnas et Bellemare insistent particulièrement sur l’importance de suivre un processus décisionnel partagé pour créer un cadre efficace.

Episode Transcription

Animateur : Vous êtes à l’écoute l’ACPM d’un point de vue pratique. 

Dr Steven Bellemare : Bonjour Yolanda.

Dre Yolanda Madarnas : Bonjour Steven, bonjour à tous

Steven : Yolanda, est-ce que tu t’es déjà trouvée dans une situation où tu avais à faire de la paperasse (remplir des papiers, des formulaires) pour un patient ?

Yolanda : Absolument, très souvent.

Steven : Qui ne l’a pas été ? Est-ce que tu as en tête un genre de situation qui est plus problématique qu’un autre potentiellement ?

Yolanda : À part le fardeau administratif que représentent les formulaires, c’est le processus décisionnel derrière ces formulaires, donc la décision de « clearer » un patient, de donner le feu vert pour un retour au travail ou un retour à ses activités, ou le sport par exemple.

Steven : Quoique la plupart de nos patients ne soient pas des athlètes professionnels, les chances sont que la plupart d’entre nous aurons besoin de donner des attestations à nos patients pour retourner au sport après une blessure par exemple.

Yolanda : Donc le balado aujourd’hui arrive comme complément à l’article là-dessus.

Steven : Et pourquoi on devrait s’en faire à ce sujet-là ?

Yolanda : Il peut y avoir un souci ou des craintes de la part des médecins vis-à-vis de leurs responsabilités si le patient se blesse ou récidive de sa blessure. Ainsi, il peut avoir la crainte que le patient ne suive pas les consignes.

Steven : Puis, il y a l’inconfort quant à la gestion de l’incertitude, quand on n’est pas trop certain comment procéder. Finalement, il y a les intentions cachées de nos patients ou des parents de nos plus jeunes patients; et les impacts relationnels qui peuvent découler de décisions ou de recommandations qu’on fait qui ne sont pas nécessairement alignées avec leurs attentes.

Yolanda : Tout à fait. Donc, le retour de nos patients à leurs activités normales, leurs activités de loisir, sportives après une blessure ou une absence, quoique satisfaisant pour le médecin et le patient aussi, requiert d’une part qu’on tienne compte de leur motivation de retourner à ces activités et d’autre part la sécurité de le faire.

Steven : C’est une question qui est chargée d’émotions; on peut ressentir de la pression de plusieurs personnes et c’est important, je pense, de s’en tenir au principe de base pour y voir clair.

Yolanda : C’est sûr que c’est un contexte souvent émotif pour les athlètes. Lorsqu’ils sont jeunes, leurs parents les coachent. Et, il peut y parfois avoir du conflit, par exemple, un employeur rigide qui ne collabore pas avec les recommandations requises pour le patient.

Steven : Oui. En plus de ça, il y a les autres membres de l’équipe qui exercent des pressions, les compagnies d’assurance, les employeurs. Donc tout ça peut exercer une pression significative sur les patients et sur vous comme médecin par l’entremise des attentes des patients.

Yolanda : Absolument. Mais sachez que vous n’êtes pas seul et que vous pouvez bénéficier de l’expérience collective de divers professionnels de la santé souvent impliqués dans les soins de votre patient, et ça peut vous aider à gérer le cas.

Steven : Donc, quels sont nos messages clés cette fois-ci Yolanda ?

Yolanda : Le premier qui revient (ce n’est pas la première fois qu’on voit ça dans nos balados) : tenez compte du meilleur intérêt de la sécurité de votre patient, c’est le principe de base dans la gestion de ces cas.

Steven : Le deuxième serait de demander de l’aide, de ne pas hésiter à demander de l’aide si on n’est incertain quant aux lignes directrices ou si on est inconfortable avec la condition ou la blessure en question, et de ses implications pour le retour à l’activité.

Yolanda : Et en troisième lieu, les discussions de retour aux activités devraient inclure une discussion de risques à court terme et à long terme de ce retour.

Steven : Bon, donc message clé no 1 : les meilleurs intérêts du patient, qu’est-ce que ça veut dire ?

Yolanda : Ça veut dire que ce sont des décisions qui doivent être prises soigneusement. On retrouve souvent dans nos cas médico-légaux des lacunes vis-à-vis la rigueur des évaluations, donc soyez conscient et tenez-vous à votre champ de pratique et à votre expérience avec la condition en question.

Steven : Dans le fond, pour ce faire, il faut savoir de quoi on parle et avoir une approche, que ce soit quelque chose avec un enjeu élevé comme un patient qui fait une syncope en faisant du sport avec des antécédents familiaux de mort cardiaque soudaine, ou quelque chose d’un peu plus « banal » comme une entorse à la cheville, bien les principes sont fondamentalement les mêmes. En ce qui a trait à la prise de décision, il faut agir selon les règles de l’art : faire une analyse, un examen, considérer les risques et les bénéfices et en discuter avec les patients.

Yolanda : Précisons cependant que les médecins ne sont pas tenus à une obligation de résultat, mais plutôt à l’obligation de moyens.

Steven : bien ça, c’est intéressant, je pense que c’est la première fois qu’on en parle dans notre balado. Qu’est-ce qu’on veut dire par ça ?

Yolanda : Ça veut dire que les tribunaux et les collèges ne s’attendent pas à la garantie d’un résultat favorable, mais plutôt que le médecin fasse preuve d’avoir pris une approche diligente basée sur les règles de l’art.

Steven : Donc ils prennent les moyens nécessaires pour en arriver au meilleur résultat possible sans garantir le résultat, parce qu’on n’est pas infaillible; ce n’est presque pas possible d’offrir des garanties. La clé est de trouver le seuil sécuritaire. Ça, ça va impliquer un élément de jugement de votre part et de celle du patient en prenant en compte la tolérance pour le risque (patient).

Yolanda : Ce qui représente en effet un processus décisionnel partagé.

Steven : C’est ça. Et je ressens le besoin Yolanda de souligner à quel point il faut faire attention aux situations qui paraissent « banales » ou qui semblent avoir des enjeux moins élevés, parce que c’est là qu’on risque peut-être de déraper un petit peu et de potentiellement exercer notre jugement de façon moins bonne peut-être qu’à l’habitude. Notre approche, et ça, ça veut d’être systématique, c’est vraiment la clé du succès pour faire en sorte qu’on reste diligent et qu’on adhère à ces règles de l’art.

Yolanda : Ce qui amène à notre premier message clé : de garder comme priorité la sécurité et le meilleur intérêt de votre patient, malgré des intérêts parfois divergents.

Steven : C’est certain parce que vous allez probablement ressentir une pression considérable de faire le bon « choix ».

Yolanda : Pour qui ?

Steven : Exactement ! Un bon choix pour votre patient, ça ne pourrait pas nécessairement s’aligner avec ce qui serait le bon choix strictement du point de vue médical. Il faut prendre en ligne de compte que le patient vit dans un contexte.

Yolanda : Oui, ce que le patient croit être le bon choix n’est peut-être pas ce que le coach croit être le bon choix, ou l’employeur ou l’assureur.

Steven : Tous ces points de vue ne s’alignent peut-être pas avec ce que vous croyez, comme je disais tantôt, avec le bon choix du point de vue médical.

Yolanda : De là l’importance de se tenir à une norme de pratique ou à des critères établis.

Steven : C’est vraiment l’occasion de se ressourcer dans l’expertise collective de la communauté médicale pour voir clair dans le fond, à travers toutes ces priorités divergentes.

Yolanda : Nous avons certainement ou probablement tous fait face à des situations où un patient veut retourner aux activités ou au sport, ou par contre ne veut pas retourner au travail malgré notre recommandation, notre opinion contraire.

Steven : Et ce n’est pas pour dire qu’il faut faire ce que nos patients veulent par contre.

Yolanda : Oui, le patient doit toujours consentir à aller de l’avant, et en fin de compte, a le dernier mot. Mais, lorsque notre opinion professionnelle va à l’encontre de leurs attentes…

Steven : … On a besoin de quelque chose de solide sur laquelle s’appuyer, et ça, ça veut dire suivre les règles de l’art en ce qui a trait à l’évaluation qu’on a faite et les recommandations qu’on a émises.

Yolanda : Oui, par exemple, une approche suivant des algorithmes publiés peut non seulement vous guider dans votre processus décisionnel, mais peut servir aussi d’un outil éducatif extrêmement important pouvant expliquer aux patients le pourquoi de vos recommandations.

Steven : Puis, même de suivre un algorithme en personne avec son patient, qui est sur papier et on le suit avec notre doigt, ça peut aider à bâtir la relation médecin-patient et à démontrer que vous faites un exercice de jugement quand vous émettez votre recommandation.

Yolanda : Un processus décisionnel partagé.

Steven : La littérature, Yolanda, parle du concept des modificateurs de décisions. Par exemple, si on parle de la proximité aux séries éliminatoires ou la présence d’un recruteur universitaire à une partie comme étant des éléments qui augmentent la pression sur les patients de façon significative en ce qui a trait au retour au jeu d’un patient par exemple.

Yolanda : De là l’importance de souligner l’importance de bien documenter le processus décisionnel soutenant vos recommandations.

Steven : Parce que quand il y a ces modificateurs décisionnels, c’est important que quelqu’un puisse comprendre votre état d’esprit par rapport à votre décision. Même le meilleur intérêt du patient, dans ce contexte-là, c’est un concept qui est dans le gris.

Yolanda : Prenons un exemple du sport : votre patient, l’athlète, rêve de se rendre à la Ligue nationale de hockey, mais pour vous, la priorité, c’est d’éviter qu’une blessure aiguë devienne chronique ou que votre patient de 20 ans développe une ostéoporose précoce.

Steven : On en a parlé dans nos autres balados : de prendre le temps d’explorer les sentiments, les intérêts, la fonction, les attentes de nos patients devient vraiment important quand on a à faire des recommandations comme ça.

Yolanda : On pense qu’il y a moyen de préserver cette alliance thérapeutique et de respecter le fait que nous sommes d’accord à être en désaccord.

Steven : C’est ça. Donc, notre deuxième message clé : ne peut hésiter à demander de l’aide.

Yolanda : En effet, très important. Pensez qu’il y a plusieurs professionnels de la santé souvent impliqués dans les soins de nos patients.

Steven : Bien que les patients puissent venir vous voir pour vous faire signer un formulaire de retour à l’activité, il se peut fort bien qu’un orthopédiste, un physiothérapeute, un ergothérapeute, un neurologue soit par contre mieux placé pour émettre une opinion là-dessus que vous.

Yolanda : Ces professionnels de la santé représentent des ressources précieuses qui peuvent vous être très utiles dans la gestion de vos patients.

Steven : Ceci dit, il ne faut pas tout envoyer chez nos collègues par exemple; il faut considérer nos relations professionnelles à long terme.

Yolanda : C’est vrai, personne n’aime se faire domper dessus. Cependant, ce sont des ressources extrêmement précieuses.

Steven : Oui, donc il faut être judicieux quand on envoie quelque chose chez un collègue, c’est tout.

Yolanda : Mais n’hésitons surtout pas s’il y a quelque chose qui nous agace ou qui est à la limite de notre expertise ou de notre zone de confort ou notre champ de pratique. Par exemple, il y a des physiothérapeutes excellents qui ont de l’expertise dans la réhabilitation de la commotion cérébrale qui pourraient vous assister dans un processus d’évaluation et de retour aux activités pour votre patient.

Steven : Quand on dit de prendre avantage de ces ressources, ça ne veut pas nécessairement dire de les envoyer en consulte formelle; les conseils ne sont pas tous officiels ou formels.

Yolanda : C’est sûr, par exemple, un coup de fil à un collègue, un neurologue, un physiothérapeute peut être extrêmement utile.

Steven : Et c’est important de prendre des notes quand on fait ça par contre, parce que même si ce n’est pas « formel », ça fait quand même partie du processus décisionnel, ça fait partie de votre diligence pour avoir pris une décision. Et quel que soit… C’est important de documenter d’où ça vient.

Yolanda : La même chose s’applique lorsqu’un collègue communique avec nous pour des conseils. Il est peut-être tout à fait approprié de donner des conseils téléphoniques dans ces circonstances-là aussi.

Steven : Encore là, il faut prendre des notes au sujet de ces consultations téléphoniques ou informelles, car vous pouvez être certain que la personne qui vous a appelé pour vous demander votre opinion va avoir pris note du fait qu’elle vous a appelé. Puis, vous, vous voulez avoir une note dans votre dossier pour démontrer ce que vous avez pris en ligne de compte lorsque vous avez formulé votre recommandation à cette personne-là.

Yolanda : Donc, revenons maintenant au message clé no 3 : le retour à l’activité, au travail, aux sports, aux loisirs. La tenue et la bonne documentation des discussions avec les risques à court et à long terme : extrêmement importantes.

Steven : La prise de décision partagée avec le patient devrait dans le fond inclure les risques potentiels à long terme de retourner au jeu trop vite par exemple.

Yolanda : Mais en fin de compte, c’est quand même au patient de considérer l’information reçue avec leur priorité pour arriver à une décision éclairée.

Steven : C’est ça. Vous, comme médecin, vous émettez une recommandation, mais ça ne veut pas dire qu’elle va être suivie nécessairement.

Yolanda : Oui. Steven, on entend souvent parler de consolider un patient, mais peut-on vraiment « clearer » complètement quelqu’un ?

Steven : C’est une bonne question. C’est une question de décision informée par le patient, basée sur votre recommandation. C’est pourquoi l’article qui accompagne le balado qui mentionne que ce n’est probablement pas une bonne idée de signer un énoncé général qui atteste globalement qu’un patient peut tout faire : qu’il peut prendre l’avion pendant 18 heures sans problème ou qu’il peut partir en dehors du pays pour 3, 4, 5 mois. C’est probablement préférable de décrire la condition du patient, de dire si elle est stable ou non, et de décrire les risques que vous envisagez à ce moment-là.

Yolanda : Même si les risques peuvent paraître minimes, assurez-vous que le patient comprend que c’est sa décision en bout de ligne, mais que vos recommandations tiennent et que vous avez discuté des risques, petits et plus importants.

Steven : Yolanda, on se fait souvent demander, quand le patient m’arrive avec un formulaire et il y a une boîte qui dit « cliquez oui ou non », et on ne sait pas sur lequel cliquer, qu’est-ce qu’on fait?

Yolanda : On peut nuancer notre énoncé et remplir au-delà de la case, disant le pourquoi avec les nuances et précisions nécessaires, parce que c’est gris et non noir ou blanc.

Steven : Dans le cas d’un problème éventuel où on questionne votre décision, ça va être beaucoup plus utile pour démontrer que vous y avez pensé, que vous êtes arrivé là en résultat d’un processus intellectuel plutôt que de juste cliquer « oui » ou « non » de façon peut-être trop rapide.

Yolanda : C’est l’approche, c’est le cadre qui est important.

Steven : C’est ça, c’est votre diligence qui est importante ici. Que ce soit un orteil cassé, une troisième commotion cérébrale, les enjeux peuvent être différents, mais le processus décisionnel…

Yolanda : L’approche, l’encadrement est important.

Steven : Oui, d’établir des habitudes de pratique solides que vous répétez toujours, bien c’est comme ça que vous allez promouvoir des soins médicaux sécuritaires et fiables.

Yolanda : Prenons par exemple l’athlète qui veut donner l’impression d’être en top forme et qui ne veut pas porter l’orthèse recommandée, ou bien veut retourner au jeu avant d’être vraiment prêt. C’est leur choix, mais en cas de blessure ou de récidive, c’est important pour vous de pouvoir démontrer que vos discussions ont inclus le risque de ne pas suivre vos recommandations et d’avoir bien documenté.

Steven : Donc, dans le fond, c’est quoi ? C’est ta perle de documentation ?

Yolanda : Oui, c’est ma perle de documentation. On arrive à la fin, Steven, mais as-tu une perle de communication ?

Steven : Je te dirais qu’il faut réaliser que tout le monde a son mot à dire, le patient certainement, mais aussi parfois les coaches, les employeurs, les professeurs, les compagnies d’assurance. Quoique vous puissiez écouter tout le monde, votre devoir est vraiment envers votre patient. Donc, faites attention au ton que vous utilisez lorsque vous formulez vos recommandations, surtout quand elles ne s’alignent pas avec ce que votre patient désire. Ce genre de situations peut être très chargé d’un point de vue émotif.

Yolanda : C’est une excellente perle Steven, parce qu’en effet, dans beaucoup de nos plaintes au collège, il y a un élément de reproche sur la qualité de communication entre diverses parties. Et on reconnaît que ce sont des situations qui créent énormément de tension dans la relation thérapeutique.

Steven : Donc là-dessus, Yolanda, je crois que c’est le temps de se laisser.

Yolanda : Mon Dieu, le temps file. Au revoir, tout le monde, merci d’être parmi nous aujourd’hui.

Steven : Je vous rappelle, si vous avez des suggestions pour des sujets de balados futurs, envoyez-nous un courriel à balado@cmpa.org.

Yolanda :: Rappelons-nous que lorsqu’on regarde les choses autrement…

Steven : …On perçoit les choses autrement.

Yolanda : Au revoir. 

Steven : Bonne journée.

Animateur : Ce matériel éducatif est fourni uniquement à des fins éducatives générales ; il ne constitue pas des conseils professionnels de nature juridique ou médicale ni une « norme de pratique » pour les professionnels de la santé canadiens.