Le Dr Bellemare et la Dre Madarnas discutent des séances de débreffage en équipe qui ponctuent notre pratique quotidienne. En quoi consistent-elles? Qui devrait y prendre part? Comment devraient-elles être mises en œuvre? Comment peuvent-elles contribuer à améliorer la sécurité des patients en milieu clinique?
Lisez l’article correspondant dans Perspective ACPM :
Débreffage de l’équipe : Y participer, c’est réduire vos risques médico-légaux
Framework for Improvement de l’Institute for Healthcare Improvement (IHI) (en anglais)
Animateur : Vous êtes à l’écoute de l’ACPM : D’un point de vue pratique.
Dre Yolanda Madarnas : Bonjour tout le monde, ici Yolanda Madarnas.
Dr Steven Bellemare : Et ici, Steven Bellemare. Bienvenue à notre balado.
Yolanda : Steven, tu as l’air à avoir hâte de partager quelque chose avec nous.
Steven : Absolument, Yolanda. J’ai trois situations en tête. Dis-moi ce que tu penses les unis. Donc, la première situation, c’est une césarienne STAT. Deuxième situation, c’est un patient qui se choque dans la salle d’attente parce qu’il pense qu’on l’a trop fait attendre. Troisième situation, c’est un médecin qui décide de déléguer une infiltration articulaire à un résident ou une résidente.
Yolanda : Ouais, c’est pas évident. Tu m’intrigues là, dis-moi.
Steven : Ouais, je pense que t’as raison un petit peu, c’est pas très évident. Yolanda, ce sont toutes des occasions de faire un compte-rendu de la situation, ce qu’on peut appeler plus communément un debriefing, pour en apprendre un peu plus.
Yolanda : Et si j’ai bien compris, c’est un peu, dans un contexte de communication puis on sait que la communication est un aspect très important des soins à nos patients. Puis, on a amplement d’éléments de preuve dans la littérature qui démontrent que lorsqu’il y a une bonne communication parmi les soignants, les soins sont plus sécuritaires.
Steven : Absolument Yolanda. On dit souvent qu’il faut mieux communiquer et c’est un peu simpliste de dire qu’il faut mieux communiquer. Comment on fait pour mieux communiquer ? C’est ça, vraiment, la question à se poser. Donc, le debriefing, le compte rendu, c’est une façon, justement, de s’assurer qu’on partage notre information avec les autres professionnels de la santé pour créer une conscience situationnelle commune.
Yolanda : Pour ceux qui ne connaissent pas le principe de conscience situationnelle, c’est une habileté cognitive qui comprend la perception de l’information, l’interprétation de l’information et de projeter cette information de façon à anticiper les répercussions dans le futur.
Steven : Oui, c’est ça. Donc, en maintenant une conscience situationnelle et en portant attention à ce qu’on vient juste de faire, on peut apprendre qu’est-ce qui fonctionne bien, qu’est-ce qui peut être amélioré et ainsi, apprendre de façon continue.
Yolanda : Ce processus d’apprentissage continu, en effet, fait partie du cadre de principe du IHI, aux États-Unis.
Steven : Oui, c’est ça. Ce qu’ils appellent le Framework for improvement, le cadre de l’amélioration des soins de l’institut pour l’amélioration de la santé, IHI. Donc, dans ce balado, finalement, on va discuter, justement, de la façon dont le debriefing peut, justement, promouvoir la sécurité des soins.
Yolanda : Je pense qu’on pourrait partir de trois principes : les debriefs d’équipe sont faciles à mettre en place et on peu d’impact vis-à-vis la charge de travail des membres de l’équipe.
Steven : Ouais, peut-être qu’on va avoir un petit peu de travail à faire pour convaincre le monde de ça…
Yolanda : Peut-être!
Steven : …mais c’est vraiment un principe important. Le deuxième principe, c’est que le debriefing, qui est fait de façon quotidienne, aide les équipes à améliorer leurs performances, leurs communications et puis, ça diminue les barrières au ‘’parler franchement‘’.
Yolanda : Et finalement, pour être efficace, les debriefs doivent suivre une structure avec un but plutôt que de les faire un peu de façon aléatoire.
Steven : Donc, parlons un petit peu de la mise en place de debriefing.
Yolanda : Donc, cette mise en place est plutôt facile, dans le sens que ça ne requiert pas des ressources supplémentaires ni de temps supplémentaire de la part des membres de l’équipe. La partie la plus difficile de cette mise en place, c’est la planification et surtout, l’engagement de la part des membres de l’équipe.
Steven : C’est important de commencer avec ceux-là qui sont intéressés, ceux-là qui veulent le faire et puis, on part de là. Les chances sont que les gens qui vont vous voir interagir, et faire vos comptes rendus, vos debriefings ensemble, vont commencer à dire : « Hey, c’est intéressant ça. Me semble que j’aimerais ça faire ça comme eux. Ça l’air le fun travailler avec Docteure Madarnas quand elle fait ses debriefings. »
Yolanda : Donc, c’est contagieux d’une bonne façon. Une autre difficulté qui pourrait mettre des entraves, c’est de créer un espace où les gens se sentent à l’aise et en sécurité de parler et de sentir que ce n’est pas une perte de temps.
Steven : Oui. C’est certain que le debriefing, ce n’est pas une occasion de ventiler et de discuter de tout ce qui va mal dans un département.
Yolanda : Non. Il y a d’autres occasions pour ça.
Steven : Il faut avoir un but qui est très clair et puis ça, c’est d’apprendre comment améliorer ses soins de façon quotidienne basés, justement, sur les soins qui viennent d’être prodigués. Donc, c’est un peu comme une pleine conscience pour les professionnels de la santé, de réfléchir sur ce qui vient de se passer, avec les gens qui étaient, justement, là, eux aussi.
Yolanda : Donc, c’est l’amélioration de la qualité de l’acte en action ?
Steven : C’est exactement ça. Pour faire des bons debriefs puis, les implantés de façon routinière dans le travail d’une équipe, c’est important, aussi, d’avoir une politique qui les encadre comme il faut, qui les place fermement dans le domaine de l’amélioration de la pratique, de l’amélioration de la qualité, si on veut dire, et puis qui établit que c’est quand même un processus confidentiel, que ce qui est dit, ce qui est discuté par l’équipe qui vient de prodiguer un soin, ça ne sera pas diffusé à tout le monde.
Yolanda : Ce qui est dit ici, reste ici.
Steven : Oui, c’est ça parce que le but, c’est vraiment d’engager des gens qui étaient là à être ouverts les uns avec les autres et à se dire les vraies choses.
Yolanda : De plus, de mettre en place un processus formel pourrait, aussi, éviter des debriefs fait d’une façon, un peu, aléatoire et chaotique, qui ne mènent nulle part.
Steven : Oui, justement. Dans ce processus un peu plus formel. Et puis là, on ne parle pas de protocoles qui prennent des pages et des pages…
Yolanda : Non.
Steven : …mais c’est quand même juste d’établir une clarté d’esprit pour tous les membres de l’équipe, où tous les gens comprennent quelle structure va être utilisée pour faire un debrief, quand est-ce qu’on va les faire et puis, lorsque c’est bien fait et de façon régulière, eh bien, ça peut même commencer à diminuer la charge de travail des gens.
Yolanda : Je pense que ça pourrait, même, augmenter l’efficacité du fonctionnement des équipes multidisciplinaires.
Steven : Justement parce qu’ils vont être capables d’appliquer des changements itératifs, basés sur leur expérience immédiate antérieure pour, justement, améliorer leurs processus de façon très agile.
Yolanda : Parlons de l’impact des debriefs sur l’aspect de communication de l’équipe, la performance de l’équipe et le…
Steven : …le parler franchement…
Yolanda : Oui.
Steven : Donc, justement, de mettre en place un processus de debriefing dans une routine journalière c’est important pour améliorer la culture du travail et promouvoir l’amélioration des soins qu’on donne. Par contre, les gens doivent comprendre que le but d’un debrief, ce n’est pas de critiquer les soins donnés par d’autres ou de blâmer qui que ce soit. Si c’est ce qui va se mettre à arriver dans un debrief, c’est certain que ça ne fonctionnera pas parce que ça ne créera pas…
Yolanda : …le climat…
Steven : …l’environnement, le climat de sécurité qui est nécessaire.
Yolanda : Et parlant de ce climat de sécurité, il y a des études qui démontrent que les équipes qui font des debriefs de façon systématique perçoivent moins d’entraves à la communication, moins de hiérarchies au sein de l’équipe et semble créer une culture de travail favorable à la promotion de soins de santé sécuritaires.
Steven : Tu sais Yolanda, je t’entends parler de la littérature, des études qui ont été publiées, puis ça me fait penser qu’il faut faire une distinction entre le briefing et le debriefing.
Yolanda : Eh bien, c’est de la sémantique, ça.
Steven : Eh bien, non, pas vraiment. Vois-tu, il y a une différence parce que le briefing, c’est ce qui va se passer avant une procédure, tandis que le debriefing va se passer après. Donc, dans le briefing, on se met sur la même longueur d’onde, on s’assure que les gens, qui vont participer à la procédure, aient le même contexte en tête et le même but en tête, on s’assure que les gens ont anticipé les complications, qu’ils sont préparés pour ça ; tandis que dans le debriefing, qu’on fait après, eh bien, on fait essentiellement la même chose, mais là, en rétrospective : Comment ça été ? Si ça a bien été, qu’est-ce qu’on devrait continuer à faire ?
Yolanda : Qu’est-ce qui aurait pu aller mieux…
Steven : C’est ça, qu’est-ce qui aurait pu aller mieux ? Comment on va s’y prendre pour le changer, pour le prochain patient ? Puis, on fait de petits changements itératifs, comme ça, pour essayer d’améliorer notre processus.
Yolanda : Eh bien, je me pose la question, Steven. J’ai entendu l'utilisation du concept de caucus. J’imagine que nos membres se poseront la question aussi. Ça se compare comment à des briefs et des debriefs ?
Steven : Eh bien, ça se ressemble beaucoup, mais encore une fois, ce n’est pas, exactement, de la sémantique, mais c’est encore à propos du contexte. Donc le caucus est plus situationnel, et non basé sur une procédure ou un évènement quelconque.
Yolanda : Donc, c’est plus contextuel.
Steven : C’est ça. C’est plus contextuel. Par exemple, au début d’un quart de travail, quand on se rassemble devant la liste de patients, on peut discuter de quel patient est présent sur le département puis savoir, eh bien, quel impact ça peut avoir sur les soins qu’on va donner, mais, souvent, on s’arrête là, on va parler des patients, on va faire un genre de transfert de soins, mais on peut discuter de plus de choses dans un caucus. Par exemple, on peut parler de qui est de garde, de qui n’est pas de garde, qui est malade, combien de lits sont disponibles à l’étage, etcetera. Par exemple, sur une unité d’obstétrique, si on sait qu’il y a une patiente qui va potentiellement avoir besoin d’une césarienne, le caucus, c’est une occasion rêvée, au début d’un quart de travail par exemple, de se mettre au courant du fait que oui, ça, ça va arriver, mais l’anesthésiste va être occupé en salle d’opération, à faire une chirurgie en orthopédie, pour les prochaines 3 heures, eh bien, ça peut aider à changer la priorisation des soins que…
Yolanda : …appeler le deuxième de garde.
Steven : C’est ça. Donc, essentiellement, ça aide à anticiper les problèmes et à mettre en place des mesures pour essayer de diminuer les risques qui peuvent en suivre.
Yolanda : Donc finalement, les caucus, les briefs, les debriefs, ce sont tous des mécanismes qui permettent d’augmenter la conscience situationnelle.
Steven : C’est exactement. Quand on dit qu’il faut mieux communiquer, eh bien, c’est justement comme ça qu’on communique mieux.
Yolanda : Parlons maintenant, comment structurer les debriefs de façon à avoir le maximum de succès.
Steven : Ça, c’est vraiment le concept clé. Il faut, vraiment, les planifier. Donc, je pense que la première étape c’est d’en parler avec les membres de son équipe pour essayer d’avoir une idée du niveau d’intérêt qu’on va susciter et d’avoir une idée de ce que les gens vont…
Yolanda : La résistance.
Steven : Oui, la résistance, justement, qu’on pourrait voir.
Yolanda : On pourrait commencer avec un petit groupe de gens, qui ont déjà un certain niveau d’engagement, au point de vue philosophie, ils sont déjà d’accord avec le processus et leur demander d’identifier quels sont les points principaux qu’ils voudraient durant un debrief.
Steven : Eh bien, c’est ça parce que le debrief qu’on va faire sur une unité X ne sera pas nécessairement le même…
Yolanda : En urgence.
Steven : C’est ça…que sur une unité Y ou Z parce que les besoins sont un peu différents, les gens sont à un différent niveau au point de vue de leur travail en équipe. Donc vraiment, il faut que les debriefs rejoignent un besoin interpersonnel autant qu’un besoin clinique.
Yolanda : Donc, c’est important d’identifier les recommandations, mais plus important que ça, c’est vraiment de les mettre en place.
Steven : Eh bien ça, c’est probablement le point le plus important. Si on pense au but d’un debrief, c’est d’essayer d’améliorer ses soins. Si on identifie des façons d’améliorer les processus ou les soins et puis que rien n’en est fait, eh bien il n’y a pas meilleure façon de désengager son groupe complètement et puis…
Yolanda : Ça va démontrer, c’est une perte de temps.
Steven : Exactement. Donc, si on s’engage à faire des debriefs, il faut aussi s’engager à s’assurer que les changements qu’on propose vont voir le jour.
Yolanda : Donc, il faut, aussi, créer le climat de sécurité psychologique qui permet aux gens de participer, même les gens qui sont un peu timides ou qui se sentent vulnérables de parler de leurs propres performances, un peu d’anxiété de se sentir jugé ou blâmé.
Steven : C’est certain. Puis, c’est de ne pas amener du jugement, de ne pas blâmer, de ne pas être choqué lorsqu’on fait un debrief. C’est absolument important pour créer le climat de sécurité psychologique dont on a besoin pour apprendre. Donc, c’est ce qu’on appelle un esprit de croissance personnelle plutôt que d’avoir un esprit fixe. Le médecin qui a un esprit fixe va dire, lorsqu’il se passe un évènement : « Ah, c’est de ma faute. Je ne suis pas bon. Je ne suis pas capable. Je suis incompétent. », etcetera. Tandis que le médecin qui a un esprit de croissance va dire : « Okay. Eh bien ça, ça mal été…
Yolanda : Qu’est-ce que je pourrais faire de mieux la prochaine fois ? Qu’est-ce que je pourrais apprendre. »
Steven : Et puis l’équipe va avoir le même esprit de croissance aussi. Elle ne sera pas enclin à blâmer les gens. Donc vraiment, ce qu’on peut développer avec un debrief, c’est une attitude de travail où on se dit : « Je suis là pour toi. Je réalise qu’une fois de temps en temps, ma performance ne sera pas optimale qu’une fois de temps en temps, ta performance ne sera pas optimale. Mais ensemble, si on sait bien travailler, on va être capable de s’entraider dans ces moments-là pour faire en sorte que les soins qu’on prodigue, comme équipe… »
Yolanda : « …soit plus sécuritaires. »
Steven : Exactement.
Yolanda : Donc Steven, nous sommes à la fin.
Steven : Déjà ?
Yolanda : Oui. Nous sommes à la fin de notre balado d’aujourd’hui puis c’est le temps des perles. Est-ce qu’on peut partager une perle de communication ?
Steven : Oui. Je pense que la perle que je choisirais, ça serait de dire que dans le fond, les debriefs, lorsqu’ils sont faits comme il faut et avec un but clair, peuvent être un endroit parfait, très sécuritaire, pour que l’équipe puisse faire surface à ses préoccupations dans un climat qui est sans jugement. Documentation, as-tu une perle de documentation ?
Yolanda : J’ai certainement une perle de documentation. Quoiqu’on parle toujours de la documentation à l’ACPM, documentez bien, il y a des problèmes quand vous ne documentez pas assez. Les debriefs, en tant que tel, n’ont pas besoin d’être documenté. Ceci dit, un debrief ne remplace pas la documentation d’un évènement indésirable au sein du dossier du patient et un debrief ne remplace pas, non plus, le processus déclenché par un évènement indésirable. Le processus revu de la qualité de l’acte, etcetera, qui est déclenché par ces évènements-là, donc c’est un complément. Chacun à des rôles différents.
Steven : Oui, c’est ça. Le debrief va avoir lieu beaucoup plus souvent que lorsqu’il y a un évènement indésirable ou une échappée belle parce qu’on va le faire autant lorsque les choses ont bien été, que lorsque les choses ont mal été, puis quand les choses vont mal, ça ne veut pas nécessairement dire qu’il y a eu un évènement indésirable en raison de ça.
Yolanda : Et voilà, c’était notre point de vue pour cet épisode. Ici Yolanda Madarnas.
Steven : Et ici Steven Bellemare. Je vous remercie d’avoir été des nôtres, au nom de l’ACPM et souvenez-vous, lorsqu’on regarde les choses autrement…
Yolanda : …on perçoit les choses autrement. Merci.
Steven : Bonne journée.
Yolanda : Steven, devrait-on faire un debrief ?
Steven : Je pense que c’est une bonne idée.
[Yolanda et Steven commencent à débriefer]
Animateur : Ce matériel éducatif est fourni uniquement à des fins éducatives générales ; il ne constitue pas des conseils professionnels de nature juridique ou médicale ni une « norme de pratique » pour les professionnels de la santé canadiens.